Des Phasmes et des Hommes

Extatosoma Tiaratum

J’élève des phasmes depuis plusieurs années. Et quoi que je fasse, ils me ramènent invariablement aux questions de société qui agitent nos conversations ces dernières années, parce qu’ils interrogent toujours mes catégories mentales. A savoir, les questions de genre, les modèles de famille, la diversité génétique, la cohabitation, la relation aux espèces sauvages, l’adaptation aux conditions de vie, etc. Bizarre ? Eh bien pas tant que ça : je fais feu de tout bois, et tout m’émerveille.

Et d’abord leur diversité. L’ordre des phasmes compte plus de 3100 espèces de par le monde. Sur chaque continent, ou sous-continent, pullulent des phasmes variés, parfaitement adaptés à des biotopes extraordinairement diversifiés, et capables de reproduction parthénogénétique.

Des phasmes, la France en connaît trois espèces sur la moitié sud, dont deux qui ne supportent pas les hivers froids. Et donc ici nous avons depuis quelques siècles, uniquement Clonopsis Gallica, dont on ne connaît pratiquement pas d’exemplaire mâle en milieu naturel.

En Australie, Extatosoma Tiaratum vit à des températures de 35°C le jour et des hygrométries de 30 %.

En Indonésie dans certaines forêts, la température est en permanence de 28°C et l’hygrométrie est de 80 %, et un grand nombre de phasmes y sont endémiques.

Ici ils se nourrissent presque exclusivement d’une seule plante (eucalyptus, fougère, ou orchidée spécifique). Là ils sont presque omnivores, faisant leurs délices de ronces, de différentes rosacées comme les fruitiers à pépins, de manguier. Ici ils sont totalement aptères, là ils ont des ailes, vertes, rouges, transparentes.

Au Pérou, Peruphasma Schultei se cache dans les feuilles des broméliacées. Il est d’un noir velouté, avec deux petites ailes rouges, et secrète un liquide terpénique qu’il projette sur ses assaillants. Ses tissus contiennent aussi des substances neurotoxiques pour dissuader les prédateurs. Dans son milieu il se nourrit exclusivement de Schinus (famille des pistachiers et des manguiers). Chez nous il mange différents Oleaceae comme le forsythia, le troène, le frêne, le lilas, le chèvrefeuille et la symphorine. Il semblerait que sa reproduction soit uniquement sexuée. Son collègue Oroephoetes Peruana, se nourrit exclusivement de fougères, ici comme là-bas, et tout essai de changement de régime se traduit par la mort. Eux sécrètent de la quinoléine qu’ils projettent devant eux, ce qui rend leur manipulation plus délicate pour les enfants.

De nombreuses espèces se reproduisent de façon parthénogénétique : en l’absence de mâle, les femelles d’Extatosoma assurent la survie de l’espèce en pondant des œufs non fécondés, qui donneront exclusivement des femelles. Ici la famille est monoparentale. Les œufs sont projetés au sol et se développent sans aucun soin.

Si Sungaya Inexpectata et Mearnsiana Bullosa insèrent soigneusement leurs œufs dans le sol humide, Sipyloidea Sipylis et Necroscia Annulipes pondent dans des anfractuosités..

Tant de diversité dans les formes, les tailles, les couleurs, le taux de fécondité, la nourriture, la durée de vie, la sensibilité aux pesticides, l’impact sur le milieu ambiant, et tant d’autres choses encore qu’on ne peut deviner même en les regardant chaque jour …

En disséminant les NAC, nous modifions l’équilibre du biotope, c’est pourquoi je ne relâche jamais de phasme dans la nature, même si à priori aucune de mes espèces herbivores et fragiles, ne pourrait s’adapter actuellement à notre climat tempéré. Rien à voir, non plus, avec d’autres insectes à fort impact comme le gros grillon noir, féroce carnivore importé, qui dévore toute la population des grillons autochtones quand on l’insère dans notre milieu. Et pourtant on entend parler de gens sensibles mais mal informés, qui les achètent pour les relâcher, contribuant ainsi à l’installation d’une espèce invasive supplémentaire.

On trouve des phasmes le plus souvent dans les écoles, où on étudie leurs différents stades de croissance et leur si intéressante reproduction. Et j’aime bien l’idée qu’on peut y sensibiliser les enfants à une infinité de questions qui concernent notre avenir à tous.

Peruphasma Schultei

Publié par mhdesert

Psychopraticienne en libéral

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